A mon oncle

Que reste-t-il de mon oncle Georges Loiseleur que je n’ai « connu » que sept semaines ? Quelques  photographies d’avant-guerre que nous conservons précieusement, une plaque commémorative 17, quai des Grands-Augustins au pied de l’ancien Hôtel de Luynes où Racine habita en 1658 et une plaque de rue à Vaux-sur-Seine où il repose près de ses parents. Georges y est né le 13 juillet 1916, troisième enfant d’Alfred (1874-1950) maréchal-ferrant, charron et serrurier établi 145, Grande-Rue et d’Estelle Debuly (1880-1959). Il a un frère, Gabriel né en 1904, et une sœur, Eugénie née en 1905 qui épousera le 30 juillet 1927 Marcel Ciza et aura deux enfants, Anny en 1933 et moi-même en 1944.

Sorti major de la promotion 1934 de l’Ecole nationale professionnelle d’Armentières (59), il est aussitôt embauché comme dessinateur industriel chez le constructeur Hotchkiss fabricant d’armes reconverti dans l’automobile. 

1938, le temps du service militaire. Georges rejoint à Châlons-sur-Marne le 40ème Régiment d’artillerie nord-africain (40ème RANA) rattaché à la 2ème Division d’Infanterie Nord-Africaine, division d’active stationnée dans l’Est de la France. La guerre l’y surprendra. Mai 1940, les Allemands attaquent à l’Ouest et envahissent la Belgique et la Hollande. La France envoie immédiatement des troupes pour aider l’Armée belge. La 2ème DINA se déploie dans la région de Namur. Mais il est impossible de résister aux quarante-cinq divisions de Von Rundstedt. L’Etat-major ordonne le repli vers le Sud. 26 mai, le 5ème Corps d’armée est encerclé à Lille. 27 mai,  la Division tente une sortie par le Pont de l’Abbaye d’Haubourdin. Les Panzers allemands l’en empêchent, c’est un carnage. Le caporal-chef Georges Loiseleur se distingue en remplaçant son capitaine blessé pour régler les tirs de sa batterie. 31 mai, le général Molinié accepte la reddition proposée par le général Waeger. 1er juin, les troupes allemandes rendent les honneurs aux défenseurs de Lille qui déposent leurs armes devant la gare et partent pour la captivité. Quelques heures plus tôt Le colonel Dutrey, commandant le 40ème RANA s’est tiré une balle dans la tête. Il avait juré de ne pas livrer ses canons intacts à l’ennemi.

Le général Waeger sera sanctionné par Hitler pour avoir salué le courage des vaincus.

Pour Georges les perspectives ne sont guère réjouissantes. Il est envoyé au Stalag II-A de Fünfeichen dans le Nord de l’Allemagne près de la frontière polonaise. Ce camp abrite déjà des soldats polonais, belges et néerlandais. Les troupes coloniales françaises sont employées aux travaux d’entretien.

 Il peut écrire à sa famille et envoie même à sa nièce Anny cette photographie sur laquelle on peut remarquer que les écussons de son uniforme ont été décousus. Ayant en tête de ne pas moisir longtemps dans ce stalag, Georges demande à travailler à l’extérieur. Cela sera plus facile pour s’évader. Il sera affecté dans un kommando, probablement celui de Teterow à quelques kilomètres de Neubrandenburg où les prisonniers sont logés dans un immeuble en briques de plusieurs étages et sont affectés à l’entretien des voies ferrées.

Hiver 1942-1943 évasion réussie ! Hélas les détails ne sont pas connus. Mais voilà Georges à Paris. Il s’est glissé sur l’un des bogies d’un train de soldats permissionnaires allemands regagnant leur garnison en France. Voyage éprouvant s’il en est. Plus de 1 000 kilomètres en plein vent glacial non loin de l’écoulement des toilettes des wagons. A la gare de l’Est il se faufile et peut présenter au contrôleur de quai un ticket de train allemand vraisemblablement récupéré avant de partir. L’agent comprend immédiatement la situation et le laisse passer. Mais il ne serait pas prudent de rejoindre ses parents à Vaux-sur-Seine. Pas de papiers et le risque d’une dénonciation toujours possible. Grâce aux relations de cet employé de la SNCF Georges peut gagner la province dans des conditions plus confortables. Il voyagera dans la cabine de la locomotive. Sur place il parvient à se faire établir de faux papiers d’identité. Manifestement les « amis »  du contrôleur appartiennent à la Résistance-Fer.

De retour à Paris il est « placé » par son réseau dans une entreprise travaillant pour les Allemands et peut enfin rejoindre sa fiancée Alice qui habite un meublé sur le quai des Grands-Augustins. Aucune information sur ses activités de 1943 à 1944 mais nous pouvons imaginer qu’il n’est pas resté inactif et qu’il a su se rendre utile au poste qu’il occupait puisque nous le retrouvons aux premières loges en ce mois d’août 1944.

19 août, il fait très beau malgré les quelques nuages que l’on voit poindre. Ce matin de très bonne heure il y a eu une forte agitation sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame et devant les portes de la Préfecture. Les policiers se sont emparés de l’édifice et ont arrêté le préfet Amédée Bussière. L’insurrection est lancée ! Paris prend les armes et se libère ! Les Allemands un peu surpris envoient quelques troupes et des véhicules blindés pour tâter le terrain. Ils sont accueillis par des rafales de mitraillette et des coups de fusil qui partent des fenêtres du bâtiment. Par mesure de précaution les FFI ont été placés en barrage à chaque coin de rue menant à l’Île de la Cité : place du Châtelet et quai de la Mégisserie au Nord, place Saint-Michel et quai des Grands-Augustins au Sud, square Viviani à l’Est. La consigne est de ne laisser passer aucun véhicule et de s’emparer des armes des soldats qui seront capturés ou tués.

Justement un camion approche par le quai des Grands-Augustins. Cocktail Molotov, grenade, rafale de mitraillette ? Quoiqu’il en soit il est stoppé net dans sa course. Georges se précipite et grimpe sur le plateau où gisent les soldats inanimés. Il veut récupérer une arme. Hélas l’un d’entre eux, qu’il croyait mort, sort son pistolet et tire. Un étudiant en médecine, un voisin de son immeuble,  accourt et le prend en charge. Il le conduit à l’Hôtel-Dieu juste de l’autre côté de la Seine. Mais Georges Loiseleur décède pendant le transport. Son parcours de résistant entamé sur le bogie d’un train allemand fin 1942 s’arrête là. Ses camarades se sont "occupés" du soldat allemand…

 

Il existe une photographie de l’endroit où s’est déroulé le drame. On y voit deux véhicules allemands retournés et quelques sacs de sable. Les hommes attendent leur prochaine proie. Un internaute a même réalisé un montage saisissant.

Et c’est vraisemblablement au cours de la même opération que le jeune FFI René Dova, 19 ans, a été tué.

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Triel-sur-Seine  juillet 2014, Jean-Charles Ciza avec l’aide et les souvenirs d’Anny Ciza, épouse Kirchhoff, ses neveu et nièce.

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Pour en savoir plus :

L'Ecole nationale professionnelle d'Armentières

Les Usines Hotchkiss

La 2ème D.I.N.A

Les R.A.N.A

La bataille d'Haubourdin

Le stalag II-A

Les combats dans le secteur de la place Saint-Michel

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